Si je dis à un(e) entrepreneur(e) de ne pas écouter ses investisseurs parce qu’ils racontent quand même beaucoup de bétises, il va dans la grande majorité des cas acquiescer d’un air approbateur marqué, gonfler ses joues avec un clignement des yeux un peu ralenti, prendre une grande respiration avant d’expirer un grand coup, et puis il va penser à toutes les fois ou ils le font chier, ne lui ont pas fait la remarque parfaitement pertinente au bon moment, ont poussé dans le mauvais sens, ont demandé des trucs inutiles…
J’acquiesce aussi.
Quand je me regarde je me désole, quand je me compare je me console. J’aime beaucoup cette expression parce que des conneries j’en dis beaucoup, mais comme les meilleurs investisseurs ne sont pas en reste sur ce registre, ça me rassure.
Evidemment si on reste là, on ne fait pas beaucoup avancer le débat. Prenons cette petite note du dimanche comme un exercice pour cerner ce à quoi l’entrepreneur peut être vraiment confronté, on va partir de quatre grands classiques du registre investisseur.
L’investisseur ne te trouve pas assez ambitieux. Normalement en venture capital, tu signes pour aller loin, pour taper fort, pour scaler à la Chuck Norris. Enfin ça c’est la théorie. Sauf que ça se passe pas toujours comme ça parce que ton marché est un peu plus difficile à pénétrer que prévu, parce que tu n’y arrives pas, parce que ça demande de bruler beaucoup plus de cash que prévu… Bref, ça colle pas. Il n’y a plus match. On fait quoi dans ce cas là ? Gardez le pour vous mais dans on s’en moque un peu de l’investisseur, il doit accepter qu’il a fait une connerie sur le marché ou sur votre capacité à faire de l’hyper croissance sans trembler et sans trop bruler (quel doux rêve…). L’entrepreneur doit alors batir une boite qui lui ressemble, mais en dehors des règles du venture capital classique, c’est à dire en autofinancement ou presque. J’ai eu le cas plein de fois chez Kima Ventures, des entrepreneurs qui ont bien gagné leur vie, avec une approche plus raisonnable, mais qui évitait de prendre le mur, de s’acharner quand il ne le fallait pas. Les investisseurs et nous, on a gagné de l’argent, parfois pas très bien vis à vis de nos modèles de fonds, parfois très bien… L’entrepreneur a fait de la performance, et on va quand même pas le punir pour ça.
L’investisseur challenge tes capacités, ton talent. Mon prof d’Allemand disait de moi: Il fait ce qu’il peut mais il peut peu. Et mon prof de Français me prédisait une chance sur deux d’être clochard, sympa… Bref, l’investisseur ne se pointe pas un matin pour vous dire qu’il pense que l’exécution est médiocre, il avance quelques points, parfois subtilement (mais les entrepreneurs mettent un peu de temps à les capter et autant vous dire que le temps, il joue souvent contre nous…) et parfois plus maladroitement, mais ça a le mérite d’être un peu plus direct : Il semblerait que vous n’ayez pas embauché tel profil, que le produit n’avance pas très vite, que les problèmes soulevés il y a quelques mois ne soient pas résolus, que le taux de churn clients ou employés soit assez important, qu’on ait toujours pas trouvé le product market fit, que la stratégie commerciale ne porte pas ses fruits… Tu ne changes pas un mauvais cheval donc si tu es convaincu qu’il ne gagnera pas, au moins tu vas éviter qu’il te mette un coup de sabot, et puis tu veux quand même un peu y croire, alors tu t’assoies et tu pries, on sait jamais… Si vous saviez le nombre d’investisseurs chez Figma qui avait enterré la boite… Tu sais celle qui s’est vendue pour un peu moins de 20 milliards à Adobe.
L’investisseur trouve ta vitesse d’éxécution subpar. C’est grave docteur? Alors oui ça peut être emmerdant si vous n’avez pas aligné les étoiles. En gros, la croissance c’est tout con mais c’est une preuve que vous avancez, et c’est tangible. Alors évidemment si tu es à 195 battements par minute, que t’as pris des drogues pour améliorer tes performances et que tu dois grimper la montagne la plus haute du monde à vive allure par 40 degrés, c’est sur que tu vas creuver avant d’arriver en haut. Comprendre que si tu es en forte croissance mais que tu maitrises pas ton burn et que ce dernier est délirant, c’est complètement stupide. Mais de l’autre coté du spectre, si tu avances pas assez vite mais que tu brules du cash, personne voudra te financer, c’est pas très excitant de donner de l’argent à ceux qui n’avancent pas ou pire encore perdent du terrain.
L’investisseur challenge ton attitude. Un investisseur ne viendra jamais te dire qu’il trouve que tu n’as pas la bonne attitude. Ne pas avoir la bonne attitude, c’est tout simple dans les yeux d’un investisseur, c’est manquer de réactivité, de précision, d’exaustivité (dans le sens où il faut savoir aborder les bonnes nouvelles mais aussi et plus régulièrement les mauvaises), d’une bonne capacité de remise en question (comprendre » écoute/analyse/réaction). Il en parlera peut être aux autres investisseurs, à ses collègues, ira se confier à des tiers. Et si ça vous revient aux oreilles, dans la majorité des cas vous allez le prendre mal avec l’argument fallacieux qu’il aurait pu vous en parler directement (hahaha sauf que ca change pas le fond du problème…). Le plus souvent quand il vous en parlera de lui même, il sera trop tard, parce que lorsque ça remonte, c’est que ça pète.
Pour résumer les investisseurs vont vous dire (ou ne pas vous dire justement) quatre choses:
T’es pas ambitieux
Tu vas pas assez vite
T’es pas très bon
T’as pas la bonne attitude
Et c’est tout con mais chaque élément est intrinsèquement lié au suivant, dans l’ordre inverse que je viens d’énoncer. Ca sert à rien de criser, dans la majorité des cas, c’est facile d’avoir raison quand tu dis à quelqu’un qu’il va se planter, vu que la statistique va dans ce sens. Mais si on prend un peu de recul et qu’on lit entre les lignes, il faut en extraire quoi ?
J’aime cet adage : Ce n’est pas l’aptitude mais l’attitude qui détermine ton altitude. Tu veux que les gens aient une bonne image de toi. Celui qui dit l’inverse est un menteur qui se raconte des histoires ou un fou (Et rares sont ceux qui terminent en TV Series sur Apple TV) . Même si on ne cherche pas à plaire, on cherche à bien faire les choses en tant qu’entrepreneur, et on ne veut pas être rejeté par les gens avec qui on travaille et par ceux qui nous ont financé, parce que c’est complètement con de se les mettre à dos alors que c’est notre premiere ligne de défense et d’attaque.
Bosse ton attitude : Sois précis, réactif, exhaustif et ouvert. Si tu es sympa en prime, ça fait plaisir. Si t’as le temps de mater des séries sur netflix, de chiner sur les apps de dating et d’avoir des loisirs (c’est important de s’aérer l’esprit à juste dose, ne me fais pas dire ce que j’ai pas dit), tu as le temps de tout ça, c’est une question d’hygiene. Je te dis pas que c’est facile, mais il faut savoir s’organiser et déléguer, c'est la base. Bras droit, chief of staff, tout ça… Ca fait partie de la panoplie pour t’aider à progresser dans ce sens. Sinon j’ai écrit un bouquin qui s’appelle Human Machine, il va pas mettre fin à tes résistances, mais à minima t’en prendras conscience :)
Avec cette attitude, indirectement tu mets du rythme, et c’est ce qui te permet de mettre la bonne énergie autour de toi, d’être un modèle, d’imposer une certaine vitesse d’exécution.
Mettre du rythme, ça ne veut pas dire que t’es bon… Aller vite, ça n’a de valeur que si ça s’applique aux juste choix (Après si tu cumules mauvaix choix et lenteur, dépose les armes, rends l’argent). Il faut être super intentionnel sur ce qu’on doit atteindre. pas d’objectifs, pas de destination. Et souvent les objectifs sont un équilibre imparfait entre ta vision long terme et tes contraintes court terme, c’est encore plus vrai quand tu brules du cash. Il faut composer avec. Ta vision du monde version Teletubbies faut oublier, le monde c’est Gladiator sans les effets spéciaux.
Un moment donné, si tu avances, tu vas être confronté à ta réelle ambition, c’est encore plus vrai si tu es proche de la rentabilité. Tu auras un véritable choix de vie à faire, sur la manière dont tu veux construire ta boite, sur quelle durée, à quelle vitesse (si l’environnement concurrentiel te le permet…). Ne pas être ambitieux, ça veut dire que tu penses à toi avant tout, et en tant qu’entrepreneur qui a pris des risques pour se poser la question un moment du type de boite qu’il voulait monter, à part si tu as menti à tes investisseurs dès le premier jour, personne ne peut te reprocher le choix que tu feras à ce sujet. Donc sur ce sujet, tes investisseurs auront toujours tort.
Rale à propos de tes investisseurs si ça permet de te défouler, mais n’oublie pas de lire entre les lignes, parce que malgré notre incompétence notoire, il se peut que nos impressions soient des vecteurs de vérités :)
Jimmy punchline 🎶
La punchline du prof d’allemand
Ahah